Abhorrions Flairant

Une symphonie de cyprine, de foutre et d’esprit

Martin à la campagne

par Alice Rameliet

Même si je préfère en règle générale des œuvres de forme plus courte, il m’est impossible de ne pas me sentir excellemment disposé face à un ouvrage s’ouvrant sur un poème licencieux d’Aragon. Une impression positive d’ailleurs reconfirmée à chaque nouvelle page qu’il me faut bien confesser avoir dévorée d’une seule main de Martin à la campagne.

Ce contre érotique fleuve frisant les 300 pages et livré par la délicieuse Alice Rameliet m’a charmé à tous les niveaux. Si vous êtes un habitué de ce blogue, vous connaissez désormais ma routine des mots de première page, sinon un passage par cet article devrait suffire à vous mettre au jus. Voici donc les termes que j’ai retenus parmi les premières phrases de Mademoiselle Rameliet :

L’histoire, dont le rythme effréné n’est pas sans rappeler Les Onze Mille Verges si fameuses d’Apollinaire, suit le retour dans son village natal d’une sorte de héros lubrique prénommé Martin. J’ai trouvé dans ce bougre complètement à rebours de notre époque quelques traits presque christiques si l’on exclut bien sûr son talent miraculeux pour la baise.

Il pratique non seulement la menuiserie presque à l’image de Jésus, mais personne ne semble en plus capable de lui résister bien longtemps. Ce grand baroudeur devant l’éternel revient par ailleurs chez lui pour s’occuper de sa grand-mère sénile, signe de charité ultime s’il en est ! Ses mains ne sont toutefois pas réservées aux petits soins de son aïeule, ni aux planches et aux clous, loin de là. Martin en usera et en abusera au fil des chapitres pour faire jouir littéralement par tous les trous chaque membre de son village (et parfois même plusieurs en même temps).

Toutefois, ces délices humides partagés dans l’ouvrage entre une première partie onctueuse et une deuxième bien plus salée, ne constituent pas l’unique poumon de ce conte absolument génial. Je dirais même qu’ils ne forment que la surface la plus écumeuse d’un océan bien plus bouillant. Il faut en effet ajouter plusieurs ruisseaux à leur trame merveilleuse composée de foutre d’ivoire, de pisse dorée, et de toutes les autres sécrétions dont nos corps sont capables pour saisir l’étendue de la subtilité et de la beauté structurelle qui animent le livre de Mademoiselle Rameliet.

Le premier fil de broderie qui intensifie, si la chose était encore possible, le roman prend naissance dans la passion dévorante mais paradoxalement très froidement bourgeoise que le personnage d’Anna nourrit pour Martin. Alice Rameliet nous permet en la développant jusque dans ses méandres les plus divins mais aussi les plus sordides de cerner avec une précision redoutable toute la mécanique de la lassitude en amour. Elle nous introduit par ailleurs aux logiques tordues que la pratique du candaulisme induit si souvent chez les êtres qui s’y abandonnent. Ce dernier élément m’a tout particulièrement marqué, puisque je traite moi-même un versant japonais de cet art si délicat de la tromperie dans mon prochain ouvrage.

Une deuxième attache très stimulante à la lecture réside dans le personnage de Martin lui-même. Je ne désire pas déflorer trop l’histoire, mais on peut toutefois révéler sans rien en gâcher que le dévoilement de ce qui motive ce Priape infatigable relève véritablement du trésor ! C’est d’ailleurs peut-être là que vous trouverez le cœur pulsant du bouquin.

Au niveau du style, j’ai particulièrement apprécié la richesse des détails avec laquelle Mademoiselle Rameliet nous décrit les décors bucoliques qui voient se dérouler l’histoire. Le village de Martin devient par exemple sous sa plume une sorte paradis perdu tant elle exploite habilement la menace que les transformations de la modernité font peser sur les lieux.

Et il n’y a pas que le village. Même les personnages, en y repensant bien, n’échappent pas à cette déliquescence programmée qui semble les faire briller plus fort que jamais. Mademoiselle Rameliet nous familiarise avec ces âmes à la fois en ébullition, pleines de jouissances et au bord de l’explosion terminale, mais aussi paradoxalement plus évanescentes que les spectres en lesquels l’avenir promet de les transformer tous.

Je dois avouer m’être interrogé à plusieurs reprises sur la nature mystique de ce petit bourg, de ses forêts, et du château surplombant le tout… Se pourrait-il que ce lieu de débauche, de plaisir, de souffrances aussi n’ait finalement été que la métaphore géante d’une vulve, d’un vagin et même peut-être d’un utérus pour accueillir les semences rêveuses de Martin ?

Je ne saurais l’affirmer. Je suis par contre tout-à-fait certain du parfum d’onirisme exquis dont Alice Rameliet a su embaumer son texte de la première à la dernière lettre. On rêve en effet plus qu’on lit Martin à la campagne tant l’écriture de Mademoiselle Rameliet enchante l’esprit. J’ai eu plus d’une fois envie de m’assoupir aux côtés de Marin et de ses conquêtes, d’humer l’air pur de sa campagne de moins en moins accessible, mais surtout peut-être de me faire conter par lui ou par Alice elle-même – je ne sais plus trop – les aventures passées de ses pérégrinations à travers le monde.