Mystique pénienne & vulves cabalistiques
Martin en voyage
par Alice Rameliet
Les fidèles de ce blogue savent à quel point j’avais apprécié Martin à la campagne, premier roman de la délicieuse Alice Rameliet. L’ouvrage sorti il y a déjà plus d’un an m’avait d’ailleurs tellement marqué que j’en concluais la revue par un souhait ardent. Je brûlais en effet de pouvoir un jour déflorer la fameuse jeunesse errante de Martin. D’autant plus que l’auteur en avait très subtilement suggéré la nature piquante par de courtes, mais non moins tentatrices références saupoudrées ça et là au fil de ses chapitres à tambour battant.
Avec la sortie récente de Martin en voyage, Mademoiselle Rameliet vient de satisfaire mieux que je ne l’aurais rêvé ce desideratum de longue date. J’ai donc retrouvé sans bouder mon plaisir un Martin plus jeune, moins expérimenté, mais toujours aussi innocemment christique dans son nouvel ouvrage.
Avant d’analyser les méandres tapissés de jus d’amour de cette épopée littéraire débordante de stupre, voici – tradition oblige – quelques mots glanés en première page :
- pas fait mouche
- encombrées
- vibration
- mêmes gens
- les filles
- seins impudiques
- campagne qu’il avait quittée
Précisons que je les ai sélectionnés avant d’entamer la lecture. Je réalise désormais, maintenant que la dernière page s’est refermée sur mes mains encore tremblantes de fièvres pulsionnelles, à quel point ils décrivent ensemble la tension énergisante qui anime le vit si infatigable de Martin.
Car si son John Thomas semble constamment au grade-à-vous pour toutes les femmes – et même certains hommes –, c’est peut-être fondamentalement par insatisfaction du monde tel qu’il est. Je dirais presque qu’Alice Rameliet inocule une lubricité surhumaine à son héros comme une sorte de vaccin séminal pour l’immuniser face aux laideurs et autres renoncements dont ces fameux « mêmes gens » se rendent coupables à l’infini. Vous savez bien, ces hommes et femmes du commun, complètement standardisés et que l’on croise partout d’un bout à l’autre du globe. Ceux-là même qui dénaturent l’acte de voyage par leur sur-tourisme déplacé.
C’est pourquoi la volonté farouche d’exploration de Martin se couple à un besoin irrépressible d’échapper à la matrice. D’autant que, comme il le découvrira lors de la phase parisienne de son périple, ses partenaires désirent systématiquement s’attacher à lui, que ça soit pour le transformer en trophée, en mari ou plus prosaïquement pour en faire leur godemichet exclusif. Toutefois, Martin ne semble aspirer qu’à faire danser sa verge de façon indiscriminée dans le maximum de chattes et de culs possible, sans aucune entrave. Alice Rameliet fait d’ailleurs de son héros un pilote d’avion, ce qui colle parfaitement avec sa quête de liberté absolue.
L'auteur utilise aussi deux personnages opposés pour mettre en exergue cette contradiction fondamentale – mais néanmoins indispensable à la floraison de tout désir sexuel – qui existe entre les exigences immédiates d’un pénis gonflé en quête de soulagement et celles, plus distantes mais tout aussi volcaniques d’une vulve dégoulinante de cyprine.
Car si le phallus furète et gicle par nature, le vagin, lui, souffre d’appétences plus carcérales : il lui faut pour jouir enfermer, compresser et sucer jusqu’à la moelle, jusqu’à ce que les bourses et l’âme même d’un homme s’éventent complètement. On pourrait confondre Martin avec un vampire au vu de sa consommation effrénée d’amantes de tous les âges et de toutes les couleurs, mais Mademoiselle Rameliet nous rappelle avec brio que seul le con et son dieu clitoris possèdent en réalité des facultés équivalentes à celles de Dracula.
La moule seule, osons le dire, sait évider un homme de ses dernières substances.
Lucien, un initiateur déclinant qui tient plus de l’ange noir que de l’être humain n’enseigne d’ailleurs pas autre chose à Martin. Il pousse en effet son jeune protégé à se détacher d’une ou l’autre femme en particulier pour plutôt l’encourager à les faire jouir toutes équitablement. Ce qui implique bien sûr pour le héros de savoir les abandonner régulièrement au bord du chemin, avant que toute vampirisation utérine ne puisse le surprendre.
Martin se retrouve donc à jeter ses partenaires d’un ou plusieurs soirs non parce qu’il les déteste, mais au contraire parce qu’il les aime trop. Un peu comme il délaisse un pays pour pouvoir découvrir le suivant, il lâche ses amants/tes exactement comme sa « campagne qu’il avait quittée » avec tant de regrets. Si la méthode de Lucien permet certes à Martin de se vider allègrement les couilles tout en sillonnant la planète de long en large, elle lui creuse en même temps une profonde crevasse existentielle du cul au cœur.
Alice Rameliet nous donne ainsi à voir les souffrances de son héros bien plus intimement que dans son premier volume. Je retiendrais deux épisodes en particulier. D’abord la relation magnifique et terrible que Martin entretient en début d’ouvrage avec une femme fatale s’amusant à le tancer en alternant les baises les plus débridées et des périodes d’absence totalement injustifiées. Ensuite, l’épisode thaïlandais dans lequel Martin touche sans doute les tréfonds de la débauche à l'occasion d'une orgie sordide sur fond d’esclavagisme, d’occidentaux aussi ventripotents que sadiques, et de drogues avalées à flux-tendu.
On peut d’ailleurs se demander si on couple le personnage angélico-démoniaque de Lucien et ses étranges pouvoirs à celui de la sorcière d’énergie sexuelle Circée que Martin rencontrera sur une île magique, si ces deux créatures clairement surnaturelles ne souhaitent pas élever Martin au rang de divinité priapique. Il faudra sans doute attendre le volet final des tribulations de notre héros de la bite pour en avoir le cœur net.
Quoi qu’il en soit, Alice Rameliet contrebalance très finement cette ligne narrative sexualo-mystique avec le personnage récurrent de Leila. Complètement amoureuse de Martin, cette-dernière cherchera en effet inlassablement à se caser avec lui en le tirant de divers mauvais pas et en lui offrant quelques îlots de stabilité au cours des ses aventures.
Un autre aspect extrêmement réussi du roman nous éloigne autant de la mystique pénienne qu’il nous rapproche des mystères et surtout des furies de la vulve. Par l’exploration de tout ce qui se fait de sexuellement plus transgressif, Martin finira en effet par avoir maille à partir avec un groupe de tueuses psychotiques, terroristes, et éco-féministes absolument hilarant !
Mademoiselle Rameliet saisit avec beaucoup d’humour et une lentille merveilleusement grossissante l’inversion des rôles masculins et féminins, voire même leur négation complète, à l’œuvre dans la société actuelle ! L’escale New-yorkaise de notre Jésus du gland démontre des trésors de lucidité en la matière, le tout sans émettre le moindre jugement définitif : un véritable tour de force !
Le lecteur est aussi invité à s’interroger sur la place que peut encore jouer la simple idée – devenant de plus en plus révolutionnaire au rythme avec lequel vont les choses – de tout simplement faire l’amour sans notion sur-complexifiée de genre, de construction sociale, d’oppression réelle ou supposée, et de tout le cortège des interrogations contemporaines en matière de sexualité.
Pour conclure sans en dévoiler trop sur ce superbe roman, je dirais qu’il possède à la fois les qualités du monde en ce qu’il en explore les coins les plus insoupçonnés du Japon à Paris, en passant par les États-Unis, l’Amérique du sud et tant d’autres lieux inoubliables ; et celles plus évanescentes d’une certaine exaltation mystique née au confluent des océans de sperme et des étangs de cyprine sur lesquels Martin semble condamné à devoir naviguer pour toujours.
Mention spéciale pour le chapitre Fille d’Eve, mon préféré. Je vous laisse avec deux de ses paragraphes murmurés par mes soins dans l’air aqueux de la nuit japonaise :