De la dissolution d’une carapace
La Salope
par Nicolas Reading
- sperme
- dégoût
- mépris
- pines
- remplir
- cul
- chair
- thune
- salope
Nicolas Reading constelle sa première page des six termes ci-dessus sur avec un doigté immédiatement palpable. Si telle entrée en matière vous intrigue, j’en explicite la logique dans une chronique précédente. Dans La Salope, un petit bouquin qui tabasse très fort et s’avale d’une seule traite, Monsieur Reading nous conte un récit en trois temps. Il y intercale aussi très habilement, comme le reflet d’un miroir, ses trois thèmes.
À travers le parcours météorique d’Arthur, un jeune éphèbe homosexuel monté à Paris, Nicolas Reading nous entraîne dans une autopsie précise, mais jamais cynique à la fois de l’Amour avec un grand A, du deuil qui ne nécessite point de majuscule pour le rendre important, et de cette ataraxie si difficile à atteindre dans notre monde toujours plus « vélocichaotique ».
Quid de la carapace fondante mentionnée dans mon titre, me direz-vous ? C’est précisément l’objet de toute la ligne temporelle du bouquin. Arthur commence en effet par s’en forger une très épaisse avec son cul durant les cinq premiers chapitres. Il tente d’échapper à ce qu’il croit être une déception amoureuse en débridant sa vie sexuelle au maximum. Sans trop déflorer l’histoire, on peut tout de même révéler que Monsieur Reading nous offre ici une analyse extrêmement fine et pertinente du spectre de déchéance qui survient souvent lorsqu’un homme utilise sa sexualité (dans le cas présent en la monnayant) comme mécanisme de compensation psychologique. Notons toutefois que malgré la nature nécessairement crue de cette partie, l’auteur parvient à la rendre aussi fascinante qu’agréable en la ponctuant ça et là de petits sommets poétiques richement imagés tout à fait rafraîchissants.
Et puis le blindage barbelé érigé si patiemment autour du cœur saignant d’Arthur par l’accumulation de festins orgiastiques ininterrompus se brise finalement dans les chapitres six et sept, à l’occasion d’une confrontation inattendue avec la mort et la maladie. Nicolas Reading fait d’ailleurs – sans pousser le vice jusqu’à en infecter son personnage – croiser à Arthur la route du SIDA, dans la grande tradition d’un Guibert ou d’un Dustan. Finalement, c’est par le prisme de la peinture et d’un certain lâcher prise tout en souvenir que Monsieur Reading nous guide sur les pas de la rédemption d’Arthur dans la dernière partie. À bien y réfléchir, ce mot n’est peut-être le plus approprié : disons plutôt salvation.
Au-delà de d’une amusette littéraire finale très bien imaginée autour du célèbre roman philosophique d’Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, La Salope régale ses lecteurs de douceurs aigres-douces du début à la fin. Nicolas Reading nous embarque subtilement dans une sorte d’errance initiatique qui part de la chair et de ses désirs infernaux pour serpenter jusqu’aux frontières de la mort, avant d’en revenir et de nous déverrouiller enfin les portes d’une sagesse qui semble alors déjà acquise.
Voilà comment et pourquoi La Salope a ravi équitablement mes sens, ma cervelle, mais aussi mon cœur. En refermant le livre, j’ai immédiatement pensé à la recommandation que nos pères intellectuels grecs gravaient sur le frontispice de leurs temples : gnothi seauton (connais-toi toi-même). Si Arthur y est parvenu en cent-vingt pages, on peut espérer que nos vies à tous suffisent largement à parachever cette tâche.