De l’art du conte par la rapine
Sexualités Monstres suivi de Eaux Bénites
par Valentina Viettro
Mes lecteurs ayant exigé des précisions sur la méthode des mots de première page inaugurée au début de cette série de recensions, permettez que je satisfasse leur curiosité avant d’attaquer la chronique d’une nouvelle perle dénichée dans l’huître toujours fertile de l’Amour des Maux : Sexualités Monstres suvi de Eaux Bénites, par Valentina Viettro.
J’ai découvert cette pratique consistant à récolter quelques mots ou expressions importantes sur la première page d’une œuvre pour tenter d’en déflorer les lignes directrices dans un livre génial de Masahiko Abe intitulé « 名作をいじる » (Meisaku wo ijiru).
On peut traduire le verbe japonais « ijiru » par jouer avec ou, plus librement, par triturer. Le nom « meisaku » signifie pour sa part chef-d’œuvre. Le professeur Abe propose pour donner envie de lire 16 grands classiques de la littérature japonaise jusqu’au bout de commencer par les démystifier. Comment ? En demandant aux lecteurs d’identifier et d’annoter les expressions de première page leurs paraissant les plus marquantes.
J’ai découvert en m’y essayant l’ingéniosité incontestable de ce procédé. Car si son utilisation permet de tomber juste très souvent, elle n’en reste pas moins fructueuse même dans les rares cas dans lesquels le bouquin étudié prend le contre-pied absolu de son ouverture. On en apprend alors en effet beaucoup sur soi-même en tant que lecteur, par exemple au sujet des expressions et des tournures auxquelles nous avons tendance à accorder trop de valeur.
J’invite quoi qu’il en soit tout lecteur se voulant attentif à s’essayer à cet exercice. Voici d’ailleurs ma sélection pour l’ouvrage de Mademoiselle Viettro :
- bite géante
- vaincre l’insomnie
- c’est de ma faute
- Divine douleur
- son monde
Dès ses premières pages, j’ai rapidement compris la nature merveilleusement biface de l’écriture de Valentina Viettro. D’un côté, la narratrice nous relate une série de rencontres purement sexuelles, mais d’un autre elle y ajoute en même temps une couche indéniablement poétique. J’ai eu l’impression de voir la conteuse, car Mademoiselle Viettro en est une de grande qualité, se transformer en une sorte d’abeille-lutin dotée du pouvoir étrange de butiner soudain les pollens secrets imbibant les âmes des personnages exceptionnels croisant sa route.
Ainsi les bites gargantuesques, les vagins carmin et tout le cortège de lubricités présentées par l’auteur avec un savoir-faire consommé servent donc aussi, au-delà du plaisir qu’elles procurent par elles-mêmes, à nous ouvrir des portes sur le for intérieur des divers arlequins qui peuplent de bout en bout la narration.
Mademoiselle Viettro fait d’ailleurs elle-même référence à cette pénétration de l’intime de l’autre en se demandant à un certain moment si écrire n’équivaudrait pas à voler un peu les souvenirs d’autrui. On retrouve cette mystique de l’espionne ou de la détective-conteuse filée dans la trame du récit avec une immense finesse. Si la narratrice prend un malin plaisir à effeuiller ses rencontres de leurs derniers mystères, elle agit toutefois avec une absence totale de malice.
Ce point mérite d’être soulevé tant il fait écho à la nature double de l’écriture de Mademoiselle Viettro. Son style très agréable remplit à la perfection deux buts à priori tout-à-fait contradictoires. Comme le scalpel d’un chirurgien, il expose d’abord à vif la psychologie tant des personnages que de la narratrice elle-même, pénétrant leurs peaux aussi facilement que s’il étaient des patients anesthésiés sur leur bloc opératoire. Valentina Viettro nous dévoile tour-à-tour leurs chairs, leurs craintes, leurs nerfs, leurs rêves, leurs muscles et leurs désirs avec une facilité déconcertante. À la lecture toutefois, et c’est précisément là que j’ai le plus intensément admiré l’éclat stylistique de Sexualités Monstres suvi de Eaux Bénites, ce désossage interne n’a strictement rien de clinique, c’est même l’inverse. L’auteur parvient, par une un tour de force que je ne m’explique pas entièrement, à créer une profonde complicité avec le lecteur dans le voyeurisme qu’elle installe tout au long de son histoire.
Vous vous surprendrez donc plus d’une fois à partager le sourire de la conteuse lorsqu’elle déflore avec légèreté et précision l’un ou l’autre membre de la galerie de portraits extrêmement bigarrée lui faisant face. Cette diversité qui sonne comme une invitation au voyage constante constitue d’ailleurs un autre point très fort de ce livre : en plus d’être insomniaque, hyper-active et ultra-sensuelle, la narratrice est prise d’une fameuse bougeotte ! Vous verrez donc du pays, et aucun des 31 chapitres qui composent l’ouvrage ne vous en rappellera un autre.
L’éclectisme de Mademoiselle Viettro ne se limite toutefois pas à la géographie, mais s’étend – et c’est une qualité rare dans des textes traitant de sexualité – jusqu’à l’âge mûr. Permettez-moi donc de terminer ma déblatération en vous conseillant de lire avec une attention toute particulière les chapitres Le capitaine sans navire et La célébration de Mel.
Je ne résiste pas à vous écrire une phrase supplémentaire tant ce livre m’a fasciné. Vous y trouverez une sorte de berceuse méditerranéenne… mais chantée par les lèvres divines d’une vulve volcanique.