Abhorrions Flairant

Une floraison de larmes

Cette histoire finit mal

par Ethan Sévenin

Je privilégie en général la tragédie à la comédie tant la superficialité des rires gras et non-pensés m’écœure. C’est pourquoi j’adore avec une immodération frisant l’indécence toutes les choses acidulées, pointues, tranchantes et exigeantes qui courent par le monde. Je précise immédiatement qu’autant le rire instinctif me dégoûte, autant un certain humour travaillé et sulfurique – souvent qualifié à tort de noir – me convient par contre parfaitement.

L’ouvrage d’Ethan Sévenin, prix du roman gay 2023, rentre incontestablement dans ces univers tragiques, délicats, et subtilement drôles qui me plaisent tant. Ce livre étant également publié par mon éditeur l’Amour des Maux, je vous invite à vous référer à la première entrée de ce blogue pour comprendre les raisons qui motivent ces petites recensions de mes collègues.

Pour rester fidèle à la méthode littéraire initiée dans mon entrée d’hier, commençons avec quelques bouts de phrases glanés en première page:

Monsieur Sévenin pose rapidement le contexte de l’histoire dans laquelle il s’apprête à nous enrouler avec ce roman largement autobiographique : nous sommes invités à suivre l’entrée d’un jeune homosexuel dans sa vie d’adulte.

La façon presque surnaturelle dont l’auteur parvient à montrer la solitude fondamentale qui hante son personnage (Christophe) dans la première partie pourtant heureuse de la narration m’a profondément marqué. On le sent en effet diffusément en décalage, comme s’il portait un voile d’ombres secrètes et impénétrables autour de lui, et ce malgré une vie bien remplie et partagée entre d’innombrables fêtes avec son groupe d’amis (nous y reviendrons), une assiduité forte pour son travail et surtout une passion absolument dévorante pour la musique.

Il serait toutefois aussi facile que faux à mon sens d’écrire que cet « isolement » s’explique par le caractère inverti du personnage, ou même par ses penchants fétichistes. Sa cause réside au contraire dans sa sensibilité extrême. Presque comme si une crainte sourde – que Monsieur Sévenin nous illustre parfaitement lors d’une scène dans laquelle Christophe confesse ne jamais rien vouloir éteindre chez lui de peur que son ordinateur et ses équipements musicaux ne repartent pas – le hantait jusqu’aux tréfonds de son cœur.

On ressent d’ailleurs aussi cette hyperesthésie, peut-être plus explicitement, dans la relation magique que le personnage entretient avec la musique. J’ai parlé plus haut de passion, mais Ethan Sévenin nous décrit les sons, les notes et les consoles de mixages comme autant de créatures charnelles… Les mélodies s’incarnent sous sa plume en une légion d’entités presque palpables. Je dois confesser à ce stade ne rien y connaître en musicologie, mais j’ai retrouvé dans les mots précis de Monsieur Sévenin des sensations analogues à celles que me procura Süskind dans Le Parfum il y a tant d’années. Comme on se délecte avec bonheur des diverses fragrances que Grenouille emmagasine au fil de ses pérégrinations meurtrières, Monsieur Sévenin nous fait goûter par ses explications à l’âme des sonorités en nous permettant aussi de comprendre comment ces-dernières excitent les émotions des hommes au point de se lier à leurs esprits enflammés pour toujours.

Un autre aspect qui rend la lecture de cet ouvrage absolument délicieuse réside dans ses explorations des mécanismes psychologiques à l’œuvre dans les dynamiques de groupes. Le personnage principal vogue en effet à la croisée des récifs de deux cohortes d’amis distinctes. Sa félicité de courte durée et le drame qui va la suivre naissent d’ailleurs exactement à cette confluence étrange entre les anciens potes et les nouveaux, les fêtes en petits comités et les free party gigantesques. Là encore, je retrouve le décalage mentionné plus haut : Christophe semble vivre éternellement sur la pas d’une porte, ou au centre d’un carrefour. Son corps immense et son âme généreuse pourtant au cœur de l’action restent tous deux invisibilisés, comme s’ils se trouvaient condamnés par une malédiction non-dite à être incompris pour toujours de leurs amis et de leurs collègues.

Comment expliquer autrement l’abandon terrible que subit Christophe dans la deuxième partie narrative qui, vous l’aurez deviné, se révèle bien plus sombre ? C’est peut-être là que réside la leçon la plus forte du roman. Ethan Sévenin nous montre en effet avec maestria le niveau abyssal de noirceur de nos esprits humains si faibles et si crédules lorsqu’ils se trouvent tapissés de la merde infâme que la rumeur, la mort et le malentendu forment ensemble.

Toutefois, Cette histoire finit mal enseigne aussi l’espérance en montrant une petite partie de la reconstruction de Christophe, mais aussi et surtout à mon sens en faisant briller en son cœur presque arraché l’histoire d’amour la plus pure que l’on puisse imaginer.