Abhorrions Flairant

Rien sans elles

Bref éloge de mes maîtresses

J’ai rendu le tapuscrit final de mon premier roman à mon éditeur voici un mois. Comme l’art ne me vient que très difficilement et par à-coups, accoucher de ce texte me procura une douleur extrême et ne survint qu’après une série de tribulations plus rocambolesques les unes que les autres.

Pouvait-il toutefois en être autrement au regard de mes prières obsessionnelles à tous les démons que compte l’enfer pour m’inspirer ? S’il eût mieux valu pour ma santé mentale que je me fusse tourné vers des Muses plus pures, je ne peux pas nier la générosité dont Lulu – oui, le diable me murmure souvent préférer ce sobriquet – et sa troupe de joyeux drilles rouges firent preuve à mon égard. Tous me soufflèrent en effet une symphonie ininterrompue de cochoncetés plus noires les unes que les autres au creux de l’oreille.

J’espère donc, mais vous en serez seuls juges si vous décidez de me lire, que mon esprit si « anorexisé » d’intelligence aura su extraire au moins quelques-uns des morceaux les plus délicieusement faisandés de ces chants impies, malgré ses nombreuses insuffisances.

Vous aurez compris à quel point cette première expérience d’écriture releva du calvaire. Elle me permit toutefois d’accéder à une petite épiphanie. J’ai découvert au fur et à mesure de mes nuits de rédaction insomaniaques que la besogne littéraire ressemblait presque en tout point à la pratique de l’ikebana. Cet art ancien de l’arrangement floral japonais dont j’ai fait mon métier requiert en effet l’exacte même combinaison diaboliquement ardue d’équilibre, de minutie et de concentration constante sans laquelle il m’est impossible d’écrire. Ainsi, tordre correctement une branche ou révéler au regard du spectateur la beauté discrète de chaque pétale exige à mon sens une tension du corps et de l’esprit similaire à celle qui me permit d’orchestrer mes mots ligne après ligne.

Toutefois, il serait malhonnête d’arrêter ici mon texte en prolongeant de ce fait le mythe de l’artiste supplicié forgeant sa création sans assistance. Car j’ai le bonheur masochiste d’être l’esclave de deux maîtresses exceptionnelles en arrangement floral et en lettres.

Maîtresse Okayama tout d’abord, qui me guide depuis six ans sur les sentiers épineux du kado (華道) – un autre terme pour ikebana – avec la même fermeté douce si caractéristique des grands pédagogues.

Et puis Laurence Michel, une femme du Sud à l’esprit plus vif que les rayons du soleil, et dont j’ai déjà écrit tout le bien que je pensais ici. Que rajouter à propos de cette perle de correctrice ? Je voudrais souligner la communion inattendue, mais tellement plaisante et débordante d’humour que Laurence sait installer lors du processus de révision. Elle possède en effet le talent rare de transformer une simple série de changements orthographiques, stylistiques ou grammaticaux en véritable communion d’amitié.

C’est la raison pour laquelle travailler avec elle vous permettra non seulement de polir votre texte, mais aussi et surtout de devenir meilleur écrivain – tout en passant de plus un excellent moment. Pour un homme tel que moi ne sachant faire rimer esthétisme qu’avec enfer, travailler avec la séraphine Laurence releva, j’ose le terme, de la salvation.

Je ne suis donc authentiquement pas grand-chose ni en ikebana, ni en littérature, sans ces deux femmes d’exception… J’avouerai même bien volontiers n’être rien sans elles.