Dernières heures
Brève dissection d'une agonie
Je me souviens du soleil couchant se refléter dans le sang d’Hannah. Je me souviens comment ses derniers rayons faisaient chatoyer cette liqueur de vie visqueuse si impudiquement vomie par son vieux corps sur les dalles majorquines de notre villa. Je me souviens des boucles blanches innombrables de sa chevelure onduler sur sa tête comme pour accueillir la nuit déjà si pressante. Je me souviens ma surprise muette et les hurlements hystériques de ma tante. Je souviens le parfum exquis de la pinède épuisée. Je me souviens la terreur de pouvoir presque flairer dans l’air estival les effluves du cancer. Je me souviens comment ce mal vorace avait rongé de sa denture cruelle les entrailles de grand-mère. Je me souviens enfin son visage noble relevé vers les étoiles et ses iris gris plongés au fond de mes prunelles affolées. Je me souviens l’épiphanie imbécile invoquée encore et encore par mon cerveau de gosse : on peut mourir l’été, crever quand le monde se repose… Je me souviens les vrombissements de l’ambulance et l’empressement silencieux des urgentistes. Je me souviens observer ce jour interminable se coucher tendrement par delà les arbres, se couler derrière les collines et, au loin, se laisser agoniser dans les bras infinis de la mer. Je me souviens, surtout, de ces larmes absentes qui auraient dû couler sur mes joues encore si pleines. Je me souviens, enfin, m’être résigné dans les caresses de la nuit aux morsures des dernières heures.
Notes
- Ma deuxième contribution à l'émission radiophonique Des papous à Marseille (Radio Grenouille) : Les os noirs. Retrouvez la première ici
- J'ai utilisé l'omission "de"/"du" dans certaines phrases pour retranscrire deux sensations complémentaires. Le détachement traumatique du gamin que j'étais alors d'une part et, de l'autre, la remontée violente, presque primale, du chaos émotionnel pourtant inexprimable qui m'assaillait