Abhorrions Flairant

Jeu de rôle littéraire

Une incursion satinée

J’ai récemment participé à une petite sauterie bien agréable sur Discord. Mon éditeur Jean-Marc Jugant initia cette affaire répondant à la dénomination pleine de promesses lubriques Velvet Room comme une sorte d’atelier d’écriture à plusieurs mains, mais avec la caractéristique particulière de s’appuyer sur les codes, totalement hermétiques pour moi, du jeu de rôle.

Malgré mon ignorance pucelle en la matière, l’idée d’avoir comme guide pour faire avancer l’histoire une maîtresse de cérémonie exactement comme dans un donjon SM ne pouvait que me séduire. Sans parler du fait que la trame de la fameuse chambre se déroulait dans le cadre d’un hôtel débordant autant de fantasmes que de mystères.

Ni une, ni deux, je me suis donc inscrit sans plus ample réflexion. Mes co-auteurs/rôlistes étant tous résidents français, la prise de rendez-vous convenant à tous ne fut pas simple, mais j’ai trouvé que le décalage horaire jouait d’une certaine façon en ma faveur.

Car lorsqu’il s’agit de trucs de cul, je n’écris en effet pas du tout de la même façon en journée qu’au cœur de la nuit. Les ombres qui y vibrent, les vents chuchotants leurs cochoncetés qui y remuent et les pluies automnales invisibles qui remplissent ses heures sans soleil ne manquent en effet jamais, si il était besoin, de désinhiber ma caboche pourtant déjà passablement orientée vers des caniveaux de toute sorte.

Les festivités de satin ont commencé par la création pour chaque membre de notre petit gang de pervers de son personnage. J’ai opté en ce qui me concerne pour un ex-baleiner japonais aussi endeuillé que lubrique appelé Ito Komurasaki. Avec pour but de marier par le truchement de son âme la pulsion de mort avec sa consœur de vie tout en explorant les liens possibles entre une sexualité complètement débridée et un fort sentiment de culpabilité né de la perte d’un être cher. Le tout légèrement saupoudré de candaulisme bisexuel et de plongées psychologiques internes fréquentes.

L’immédiateté et les contraintes temporelles que le format Velvet Room impliquaient nécessairement m’inquiétèrent énormément. Cela ne surprendra personne, puisque j’ai détaillé ma relation aussi torturée qu’addictive aux mots sur la page d’accueil de ce site. Toutefois, je dois admettre que la délicatesse et l’intelligence émotionnelle de notre maîtresse de cérémonie rendit l’expérience beaucoup plus fluide que je ne l’aurais imaginé.

L’interaction avec les autres joueurs a également beaucoup aiguisé mon sens de l’improvisation, un domaine dans lequel je ne brille pourtant généralement pas. Voilà d’ailleurs peut-être le plus grand avantage que d’écrire à plusieurs. La réactivité requise assassine en effet toute forme de lambinage dans l’œuf.

J’ai finalement trouvé assez peu d’écueils à ce format ultra-stimulant pour la créativité artistique, si ce n’est qu’il ne facilite pas, vitesse oblige, une écriture sans fautes. Toutefois, le problème reste parfaitement gérable puisque Discord offre la fonctionnalité d’éditer ses messages à posteriori.

Un autre aspect génial d’une telle amusette de rôle réside dans les interactions tout-à-fait surprenantes qu’elle fait surgir lorsque les personnages entremêlent non seulement leurs corps, mais aussi leurs histoires et surtout leurs secrets.

Beaucoup d’écrivains rapportent un phénomène similaire en matière de création individuelle : le fait pour leurs protagonistes de prendre leur indépendance au fil des pages, presque comme si ils s’écrivaient eux mêmes en se frottant les uns aux autres. Je questionne d’ailleurs souvent moi-même mon rôle d’écrivain (balbutiant, je ne nie pas) en rédigeant. Sommes-nous réellement les maîtres du jeu, ou plutôt de simple facilitateurs d’interactions ?

Quoi qu’il en soit, l’intensité érotique, voire carrément ultra-pornographique que la chambre de velours m’autorisa à explorer, valut largement sa chandelle démoniaque.

Dernier point marquant : les différences stylistiques entre chaque rôliste ne posèrent finalement pas le moindre problème. À ma grande surprise, elles ajoutèrent au contraire une sorte de supplément d’âme bigarré au texte final produit. Au delà du plaisir qu’elle me procura, la Velvet Room m’aura donc aussi fait comprendre avant de me dévorer de sa vulve carnassière à quel point, en matière artistique, l’obsession de cohérence relève plus souvent du péché que de la vertu.

Pour détourner la fameuse citation de Francis Bacon, je conseillerais donc à tout un chacun d’écrire encore et encore, inlassablement. Pourquoi ? Car, vous l’aurez deviné, il en restera toujours quelque chose. Et on peut construire sur du quelque chose. Sur le rien, par contre, la possibilité même d’une éclosion s’évanouit.